Homélie du 29ème dimanche du temps ordinaire (B)
Abbé Jean Compazieu | 10 octobre 2021
Pour être premier, il faut servir
Textes bibliques : Lire
En ce dimanche, nous entrons dans la semaine missionnaire mondiale. C’est aussi la journée mondiale du refus de la misère. Il est heureux que les deux soient associées. Nous vivons dans un monde qui est dominé par la recherche du pouvoir et du prestige. Comment être messagers du Christ si nous n’allons pas à contre-courant de cette mentalité ?
Les disciples eux-mêmes se sont laissé prendre au piège. Ils en étaient venus à se poser la question : qui est le plus grand ? Qui est à la première place ? L’Évangile de ce jour et l’Ancien Testament nous apportent une réponse : le plus grand, c’est celui qui se fait serviteur et même esclave, c’est celui qui accepte de partager la faiblesse des hommes, leur souffrance et même leur mort.
Tout cela nous invite à réviser notre manière de vivre à l’intérieur de notre société. Nous pensons à tous ceux et celles qui s’engagent au service des autres. Pour certains, cela passe par un engagement politique ou syndical ; d’autres trouvent leur place dans une association humanitaire ; d’autres encore sont engagés au service de leur paroisse. En ce dimanche, nous sommes plus spécialement invités à nous associer à la lutte contre la misère. Cela passe par une attention plus grande à ceux et celles qui en sont les victimes. À travers nos engagements, nos gestes de partage et de solidarité, nous participons à la mission du Christ qui s’est fait serviteur.
En effet, toute la Bible nous dit que Dieu se met au service de l’homme. Il est celui qui a vu la misère de son peuple. Il se fait petit, humble et serviteur pour nous aider à mieux accepter le Salut qu’il nous offre. La lettre eux Hébreux (2ème lecture) nous dit que le Christ a partagé nos épreuves. Il est celui qui nous fait grâce et nous obtient la miséricorde. Il fait le lien entre la terre et le ciel. Le pape Jean-Paul II disait qu’il a donné Dieu aux hommes et les hommes à Dieu.
Nous chrétiens baptisés et confirmés, nous sommes tous appelés à participer à ce sacerdoce du Christ. Nous sommes envoyés dans le monde pour être les messagers de la bonne nouvelle de l’Évangile. Notre priorité doit aller vers ceux et celles qui sont douloureusement éprouvés par la maladie, la souffrance et les misères de toutes sortes. Trop souvent, nous cherchons Dieu dans le ciel. En fait, il se présente à nous à travers le visage du petit, du pauvre, de celui ou celle qui souffre de la solitude. Nous risquons de passer à côté de lui sans le reconnaître ; c’est ce qui se passe quand nous le cherchons dans le bruit, la toute-puissance et la majesté. Le signe de la toute-puissance de Dieu c’est la croix, c’est de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Dans cet Évangile, nous voyons que les disciples n’ont rien compris. Jésus vient de leur annoncer sa Passion, sa mort et sa résurrection. Les Douze suivent sans empressement car ils ont peur. Ils savent ce qui les attend à Jérusalem. De ce groupe, deux hommes se détachent, Jacques et Jean. Pour être rassurés, ils demandent à Jésus de siéger à sa droite et à sa gauche dans son Royaume. Les autres disciples s’indignent : “Pourquoi pas nous ?” Mais Jésus ne s’indigne pas. Il sait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. S’il intervient, c’est pour les amener et nous amener à changer de perspective. Il dénonce les rapports de force et de supériorité. Le pouvoir comme écrasement des autres ne doit pas avoir sa place parmi les disciples.
La gloire du Christ se manifestera sur la croix. À sa droite et à sa gauche, nous trouverons deux bandits. La coupe qu’il boira sera celle de sa Passion qui l’introduira dans le Royaume. Là, toutes les relations seront transformées. Chacun y découvrira que sa place est un don de Dieu. C’est ainsi que Jésus a aboli la loi du plus fort. Il l’a remplacée par celle du plus aimant. C’est une conversion de tous les jours que nous obtiendrons en contemplant et un accueillant « Jésus serviteur ». Il est celui qui « nous a aimés comme on n’a jamais aimé. »
C’est très important pour nous aujourd’hui : notre monde juge le christianisme à travers ceux qui le pratiquent, donc à travers nous. Notre première tâche c’est de nous imprégner de l’Esprit Saint pour ne pas déformer le visage de l’Évangile. Lui seul peut nous éclairer sur le vrai sens de notre service : il nous apprendra à reconnaître le visage du Christ à travers ceux et celles que nous rencontrons sur notre route. En célébrant cette Eucharistie, nous demandons au Seigneur qu’il nous guide sur le chemin d’une vraie conversion ; qu’il nous donne force et courage pour chercher non à être servi mais à servir.
Sources : Homélies des prochains dimanches (Diocèse de Blois), Commentaires de Marie Noëlle Thabut, Revue Feu Nouveau, Fiches dominicales…
Au temps de Jésus, l’attente d’un Messie royal libérateur est très vive chez les Juifs. Les gens espèrent retrouver la splendeur de la nation comme au temps de David. Cette aspiration est bien présente dans l’esprit des disciples de Jésus. Ils rêvent d’un Royaume puissant où eux, les plus proches du Maître, se partageraient les honneurs…
Depuis quelque temps, partageant la vie publique de Jésus, les apôtres constatent l’enthousiasme des foules venant écouter les enseignements du Maître. Ils sont émerveillés devant ses miracles. Ils voient en Jésus un personnage exceptionnel. C’est bien le Messie tant attendu ! Voilà pourquoi, ce jour-là, croyant que l’heure était venue de se positionner afin d’être les premiers à régner dans le royaume que Jésus va instaurer, Jacques et Jean tentaient une manœuvre habile auprès du Maître : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » (Mc 10:37) Par leur franchise affichée, Jacques et Jean viennent de prendre les devants. Mais ils ne sont pas les seuls à avoir ce même désir en tête, car « les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean » (Mc 10:41) L’Évangile selon saint Luc précise même qu’« ils en arrivèrent à se quereller : lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ? » (Lc 22:24) Mais contre toute attente, à cette querelle de pouvoir, Jésus inverse radicalement l’échelle des valeurs : « Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mc 10:44-45) Cette demande des ‘fils de Zébédée’ montre qu’ils n’ont rien compris à la mission du Christ. Derrière la requête se cache une ambition dévorante de la conquête du pouvoir pour le pouvoir. Se faire une place au soleil… mais la compétition est certainement rude ! Et cela au moment même où Jésus vient de leur annoncer le grand tournant de sa vie sur terre ! « Voici que nous montons à Jérusalem. Le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort… » (Mc 10:33)
Ah, pouvoir, quand tu nous tiens ! Le rêve de grandeur est bien ancré dans le cœur de l’homme. C’est humain, n’est-ce pas ? Jacques et Jean, c’est bien nous ! Au fond du cœur, chacun de nous couve en lui ce désir avoué ou inavoué de dominer. Cette tentation n’épargne personne, homme ou femme de toute condition et de tout milieu, laïc ou religieux… On cherche à se hisser le plus haut possible sur les degrés de l’échelle humaine. Dans nos rapports sociaux, nous cherchons souvent à avoir raison, à être celui qui décide. Cette soif de prestige fait partie de la nature de l’homme. À nous la première place ! Même s’il faut, pour certains, écraser les autres. C’est la loi du plus fort ! Obnubilé par ce feu dévorant, l’homme est capable du pire pour assouvir sa soif de puissance et d’honneur : manigance, hypocrisie, corruption… Combien de fois, l’abus d’autorité rend le climat familial ou social opprimant et irrespirable. Sans parler de toutes les formes de pression psychologique menant au burn-out en entreprise ou ailleurs. Des gens avides de pouvoir exploitent la fragilité des autres. Ils n’hésitent pas à faire peser sur les épaules d’autrui le poids de leur ambition personnelle. Ils oppressent ceux qui n’ont aucun moyen de se défendre. Les faibles et les innocents ! Ce qui mène parfois à des situations tragiques et désespérées en famille ou en société.
Jésus nous met en garde contre cette envie de domination. Il nous rappelle que la valeur d’une vie ne réside pas dans la gloire, mais dans l’amour que nous mettons au service des autres. « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Lc 22:27) Jésus nous montre la voie du don de soi et de la générosité. Une autre manière d’exercer nos responsabilités, au sein de notre famille et dans la vie sociale. Jésus nous demande de bannir de nos relations toute envie de briller aux dépens des autres, de ne pas considérer le parcours humain comme une course à la réussite et à la première place mais comme un domaine où l’attention à la personne humaine et le service font partie intégrante de nos activités. Il nous invite à mettre notre influence au service de ceux qui sont incapable de se faire entendre.
Rendre service, par devoir ou bénévolement, c’est bien ce que nous faisons tous les jours. Mais tout dépend de la manière dont on se donne. S’afficher en meneur de troupe ou offrir ses services en toute modestie… Ce n’est pas une compétition pour faire mieux que les autres, mais c’est l’attrait de la solidarité qui nous anime. Partager un peu de notre vie. Donner un peu de notre temps. Sans rien attendre en retour. Sans se faire appeler ‘bienfaiteur’. C’est l’envie d’aider qui nous pousse à aller vers les autres. Face à ces responsabilités sociales ou religieuses, Jésus nous prévient contre toute tentative de se mettre sur le devant de la scène. Le piège c’est de penser que commander et organiser, c’est servir ! La responsabilité ne devient service que par le chemin de l’Amour. La valeur d’une mission n’est pas dans l’exploit ou le statut recherché, mais dans la capacité d’accueil et la gratuité.
Que chacun de nous prenne conscience des qualités et des dons qu’il possède pour apporter de l’aide à ceux qui en ont besoin. L’esprit de service en toute simplicité ! Le 16 septembre 2021, à la rencontre annuelle des associations de laïcs, des mouvements d’Église et des communautés nouvelles, le pape François a transmis aux responsables le message important de l’Évangile d’aujourd’hui : ‘Les postes de gouvernement qui vous sont confiés ne sont qu’un appel à servir.’ Tout pouvoir demande une grande humilité pour demeurer à sa juste place. C’est ce que Jésus demande à nous tous.
Nguyễn Thế Cường Jacques